Quatre ans. Quatre jolies longues années depuis qu'il avait retrouvé son frère et, pourtant, les relations n'en étaient toujours pas moins tendue. Ce n'était pas comme si Bo ne tentait pas de faire des efforts – d'ailleurs, n'était-ce pas ce qu'il s'apprêtait à faire aujourd'hui... ? Des efforts. Il n'était pas un dragon pour rien, après tout, et si son frère avait été envoyé à la maison des rouges, ce devait forcément être parce qu'il était profondémment lâche. Allez savoir pourquoi, mais le jeune homme avait toujours eu ce préjugé envers les rouges – n'étaient-ils pas tous des lâches ? Parce qu'ils avaient la ruse, mais finalement, la ruse, à quoi ça servait... à part mentir et se cacher ?

C'était une belle journée, aujourd'hui, oui. Du moins, c'était l'information qu'il tentait de faire passer à son cerveau, tentant de se convaincre lui-même. Et il n'avait pas de cours de toute la mâtiné ; si ses souvenirs étaient bons, son frère non plus. À moins qu'il ne se soit perdu à fricoter avec une jolie sirène, il pourrait en profiter pour passer un peu de temps avec ce dernier. Qu'en était-il devenu de leur relation passée ? Ils étaient pourtant si proches, auparavant – il détestait ce changement soudain qu'on leur avait imposé au courant de leur jeunesse. Et si ni l'un, ni l'autre ne faisait les efforts nécessaires... où est-ce que ça les mènerait ? Il était son jumeau. Ils n'étaient pas simplement demi-frères, n'avaient pas partagé la même maison par alliance, non – ils partageaient le même sang et ils étaient nés sous les mêmes conditions, au même moment, à quelques minutes près. C'était important, et, quelque part, au fond de lui, il savait que ça devait être important pour son frère également. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres alors qu'il attrapait son énorme cahier de dessins, enfouissant deux ou trois crayons au fond de sa poche alors qu'il quittait la pièce. Il ne quittait jamais sa chambre sans ces choses-là, et même si ça pouvait paraître étrange, lui, au moins, il avait appris avec le temps qu'on ne savait jamais quand le temps nous permettrait de capturer une image. Et si Joshua lui avait permis de dessiner quelques bribes de sentiments, il y avait toujours bien des choses qu'il n'avait jamais pu voir – pas sous son nez, pas sous ses yeux, les films, ça ne comptait pas. La passion, par exemple. Ce qu'il aimerait dessiner la passion – la flamme, le feu même, la violence que rejetait la passion. Après, toutes ces pensées n'étaient que futiles et inutiles – il doutait fortement voir quelconque passion dans le regard de son frère lorsqu'il le regardait, et dessiner son propre reflet ne l'intéressait pas réellement, mais qui sait... qui sait.

L'un des grands inconvénients au fait que son frère ait été réparti chez les rouges – selon lui, du moins – était le fait qu'il doive descendre tous les étages, et ça, seulement pour le voir un tout petit peu. Non mais c'est vrai – il aurait pu être une tortue, une licorne, n'importe quoi, mais non. Il devait absolument se retrouver dans les cachots, cachots qu'il détestait soit dit en passant. C'est les lèvres pincées qu'il s'était aventuré dans la pénombre, un œil presque complètement fermé. Les jaunes n'étaient que rarement très bien accueillis en ces lieux, et ça, il l'avait également appris au courant des dernières années – mais au-delà de ça, les moldus, aussi, ils n'étaient pas très bien accueillis. En clair ? Il était plutôt mal barré, ouais. C'est pourquoi il s'était dépêché à se rendre jusqu'à la chambre de son frère, ne prenant même pas la peine de vérifier si quelqu'un s'y trouvait avant d'ouvrir la porte, la refermant, respirant, grimaçant. Bien, aucun mal, il avait réussi.

Et, heureusement, Jeremiah n'était pas là.

Quoi ? Soulagement ? Ce n'était pas qu'il n'aimait pas le garçon – au contraire, il l'aimait bien... peut-être un peu trop, tout compte fait, et pourtant, il ne le connaissait pas réellement. Physiquement, il le connaissait, mais il se demandait même s'il lui avait déjà adressé la parole. Le dragon s'était laissé tomber dans le lit de son frère, posant son cahier sur la table de chevet. Évidemment, il n'était pas là – mais Bo ne perdait toutefois pas espoir : il allait attendre quelques minutes encore avant de déguerpir, et si son frère ne se présentait pas, alors... alors ça irait à ce week-end, forcément. Cette pensée le fit soupirer mais il ferma bien rapidement les yeux, s'appuyant au mur derrière lui, passant tout près de s'endormir. – Et boum. À peine avait-il commencé à se relaxer un tout petit peu, à peut-être même s'endormir que la porte s'était ouverte pour se refermer. Un sourire avait dessiné ses lèvres avant qu'il n'ouvre les yeux, ce dernier se dissipant bien rapidement lorsqu'il remarqua que la nouvelle présence était... évidemment, bien sûr – celle de Jeremiah. Son cœur sauta un bond et il baissa automatiquement la tête. Il y avait quelque chose chez ce garçon – allez savoir quoi, mais il y avait quelque chose. Il ressentait constamment le besoin de l'épier, de le regarder, de le dessiner... il était passionnant, voilà. Et pourtant, pourtant. Il n'avait rien de bien remarquable si on le comparait aux autres rouges de son espèce, non. Il ne le connaissait même pas... peut-être était-ce son visage. Ça devait être son visage, oui. Ses yeux, ses lèvres, son nez, son regard... il avait à peine eu le temps de réfléchir pour se dire qu'il devait résister avant d'attraper son cahier, empoignant un crayon, posant la mine sur la feuille. Mais l'autre s'était retourné avant même qu'il n'ait fait le premier trait, son sang se glaçant au travers de ses veines, et il remarquait finalement que le plus vieux était en train de se dévêtir. Son cahier trouva bien rapidement son chemin vers le lit et il lâcha le crayon, n'arrivant cependant pas à s'empêcher de le fixer – tandis que ce dernier fixait le plafond. Ses mains se joignirent, nerveusement, et il cligna des yeux. « hum. »


… hum ? confus, le dragon fronça les sourcils. Est-ce qu'il l'avait seulement remarqué ? S'apprêtait-il à lui reprocher sa présence dans la chambre ? Peut-être, peut-être pas, mais dans tous les cas, la première réaction du jeune homme avait été de répéter le « hum » de l'autre avant qu'il n'attrape son cahier, s'apprêtant à quitter. « pardon, je te laisse te. déshabiller. » avait-il soufflé, rangeant maladroitement ses crayons.

Le dragon avait grimacé lorsque l'autre avait posé sa main sur sa tête pour ébouriffer ses cheveux. Il détestait qu'on touche à sa coiffure, bon sang ! Y'avait qu'à voir sa tignasse, de toute façon, pour deviner qu'il y passait pas mal de temps – tout comme son jumeau, sûrement. Ils avaient toujours eu ce genre de connexion, tous les deux, de toute façon. C'était à peine s'ils n'avaient pas la même garde-robe, autant le dire. Mais – qu'est-ce qu'il lui prenait d'agir de la sorte avec lui, en fait ? Le jaune avait baissé la tête, resserrant son cahier contre son torse alors que la main s'écartait. Il s'était retenu – vraiment retenu – pour ne pas le repousser. Oh, non, il n'était pas méchant, mais on lui avait souvent fait remarquer son comportement impulsif – il avait tendance à réagir... plus violemment que les autres gens, dirons-nous. Puis le rouge avait parlé – l’appelant par le prénom de. De son jumeau – oh. Oh, pensa-t-il, n'osant rien dire sur le coup, clignant des yeux, fixant tout droit devant lui. Il l'avait donc confondu avec son jumeau – ce n'était pas vraiment étonnant, au fond, ils étaient... jumeaux, après tout. Mais les gens ne les confondaient que rarement – il y avait une différence assez remarquable entre l'attitude des jumeaux Jung. Bo était le jumeau gentil, peut-être un peu naïf, pur... tandis que Reagan, lui, c'était le contraire. Deux extrêmes, clairement. Le jaune pinça les lèvres, tournant lentement la tête vers le rouge, incapable de le corriger comme il aurait dû le faire en temps normal. Mais ce n'était pas très bien de se faire passer pour son jumeau, non... ? D'ailleurs, il n'en avait pas tellement envie – mais, sur le coup, les mots étaient restés bloqués dans sa gorge, et il avait été incapable de dire quoique ce soit, un faible et très discret rire nerveux s'échappant d'entre ses lèvres. Puis l'ineo était reparti vers son lit – et Bo était resté silencieux, toujours, l'observant discrètement, admirant secrètement chacun de ses mouvements. Est-ce que prétendre être son jumeau pouvait lui permettre de rester en sa présence plus longtemps, l'observer... juste un tout petit peu plus ? C'était un peu flippant comme façon de voir les choses, mais... mais Jeremiah avait réellement quelque chose de mystique, d'attirant, d’intrigant. Le dragon humecta discrètement ses lèvres, ravalant difficilement sa propre salive. « dis, bo hyun là, il est assez étrange non ? » le garçon avait automatiquement froncé les sourcils, ses lèvres s'entrouvrant à l'entente de son prénom. Vexé? Blessé ? Peut-être, peut-être pas – mais ça lui faisait tout de même un petit quelque chose de l'entendre dire ça. il était... étrange ? En quoi était-il étrange ? Si être un tantinet différent des autres, c'était d'être étrange...

« je ne suis pas étrange ! » avait-il lancé, sans réfléchir, les sourcils toujours froncés, l'air contrarié. Puis son visage s'était soudainement adoucit. Merde, avait-il pensé, baissant soudainement la tête, jouant nerveusement avec la couverture sous lui. De toute évidence, il était un très mauvais menteur – ça n'aurait jamais duré. La raison était simple ; il détestait mentir. À quoi ça servait, de mentir, de toute façon – surtout si c'était pour entendre des commentaires... relativement blessant, de la part d'un jeune homme qu'il admirait tout particulièrement. Une moue se dessina sur son visage et il ramassa définitivement ses choses, lentement, glissant ses crayons un à un entre deux pages de son cahier. « pardon... je crois que tu as confondu reagan avec moi. je vais quitter, maintenant. » avait-il soufflé, clignant des yeux, visiblement mal à l'aise. Puis il s'était redressé, toujours aussi lentement, se dirigeant vers la porte – comme s'il espérait, profondément, que quelque chose pouvait le retenir de partir. Mais il savait, au fond de lui, que mieux valait ne pas rester – de toute évidence, il était mal à l'aise, trop mal à l'aise, et rester donnerait tout simplement l'impression au plus vieux qu'il... était encore plus étrange. Étrange. Étrange. Grimace. Il n'était pas étrange, bon sang ! Juste normal. Humain. Pas comme tous ces sorciers, là, qui utilisaient la magie à longueur de journée. Il était fort, il n'était pas lâche, voilà tout. Enfin, monologue typique du dragon qui tentait de se rassurer. Sa main se posa sur la poignée mais, avant même qu'il ne la tourne, une pulsion sembla se prendre de lui et il se retourna vers l'autre. Un nouveau silence se passa avant qu'il ne parle, à nouveau, toujours sous une pulsion inconnue – mais ça, ce n'était pas vraiment étonnant de sa part. Après tout, il n'était pas à yongwang pour rien, n'est-ce pas... ; « pourquoi je suis étrange, jeremiah ? » avait-il demandé, enfin, accentuant chaque syllabe de son prénom comme s'il hésitait à le prononcer – avait-il le droit de le prononcer sans qu'il le trouve étrange, là ? Pensa-t-il, d'un ton ironique. Après, l'autre ne l'avait pas traité de monstre, certes, mais tout de même... le garçon soupira, grimaça, et leva une main dans les airs en signe d'abandon. « non, laisse tomber, en fait. je veux pas savoir. » conclu-t-il, avant de finalement tourner la poignée de la porte.