« Rei et moi, on est ensemble. »

Rei avait le très désagréable sentiment d’avoir loupé quelque chose. Néanmoins, elle resta stoïque, curieuse de la suite des évènements, les yeux brillants et les lèvres pincées. Avait-elle bien entendu ? Min Ae venait-elle réellement d’affirmer que toutes les deux, elles… étaient plus intimes qu’on aurait pu le croire ? Qu’elles avaient une relation ? Oui, tout semblait la mener à cette étrange constatation. Et comme elle était sûre et certaine de ne pas avoir de problèmes auditifs… ha. La situation commençait à devenir intéressante. Quand on y repense, ce n’était pas bien fameux jusqu’à ces paroles étranges venant de la blonde; Rei se promenait innocemment (enfin, aussi innocemment que possible, dirons-nous) dans le Muddlake Boulevard lorsqu’elle avait aperçu, totalement par hasard, sa cadette encadrée par quatre énormes mecs qui n’avaient pas vraiment l’air de lui vouloir de bonnes choses. Au début, elle avait fait mine de ne pas les avoir remarqués - après tout, que pouvait-elle faire ? Ce n’était pas comme si elle se plaisait à jouer la Wonder Woman, - mais le ton montant, et se prétextant un peu d’accomplir son devoir de préfet, la jeune japonaise s’en était mêlé. Qui sait, peut-être que la plus jeune risquait le viol ! Elle n’était naturellement pas une fille très serviable, mais tout de même, il y avait une limite à sa capacité d’ignorance. Gentiment, elle désirait simplement s’assurer qu’il n’y avait rien de trop grave et que personne ne menaçait l’autre ineo de mort douloureuse ou quoi que ça fût, elle s‘était approchée du petit cercle. En vérité, si quelqu’un en voulait à la peau de Min Ae, ça ne l’étonnait pas vraiment, mais… quand même, après quelques paroles échangées, elle avait compris qu’elle était accusée d’avoir fait du mal à le sœur d’un d’eux, ce qui ne méritait pourtant pas tant de menaces, selon elle. Tout le monde souhaitait toujours voir les ineo écrasés sous un train; ils n’étaient pas réputés pour leur amabilité, de manière générale, on ne les appréciait guère. Le pire devait sans doute être qu’ils en étaient la plupart vraiment très fiers, et parmi eux comptait Rei. Les ineos regroupaient les pires cas de tout Akiwa; les fous, psychopathes, suicidaires, violents, violeurs, ou encore, comme dans la catégorie de notre demoiselle, les mythomanes compulsifs. La plupart des autres élèves avaient peur d’eux… mais visiblement, pas ceux-ci. Elle devina facilement qu’ils étaient dans d’autres maisons, et elle eut presque envie de se foutre de leur gueule; se croyaient-il véritablement impressionnants face à elles ? Sérieusement ? Même avec son image de gentille fille due à ses traits délicats, Rei n’avait rien d’une gentille et elle savait se défendre. Ou plutôt, elle savait attaquer, avec magie ou sans, peinant quelque peu à la réflexion avant d‘agir. Alors que ces petits merdeux, là, ils ne savaient rien faire de leur vie; ils glandaient comme des mollusques. Si elle en avait été capable, peut-être aurait-elle eut pitié d’eux. Mais pour le moment, elle ne s’en souciait pas, cherchant plutôt à ne pas paraître étonnée par les mots de l’autre jeune fille. Après tout, elles avaient l’habitude de se mentir entre elles, alors élargir leur espace de jeu ne changerait pas grand-chose à proprement parler.

Ces garçons - dont un, pas du tout son genre, qui louchait gravement sur Rei avec un sourire vulgaire - semblaient croire qu’avec un peu de leur contribution physique, ils les laisseraient partir comme s’il ne s’était rien passé. Pour la peine, elle qui n’avait pas du tout envie de leur servir de poupée gonflable pour les beaux yeux de Min Ae, Rei avait faillit se tirer. Si c’était ça le prix à payer tandis que l’autre avait agressé une quelconque jeune fille sans raison - ou alors, elle ne tenait absolument pas à connaître ces raisons - non merci. Par habitude, elle préférait largement avoir le rôle de la personne qui force que celui de celle qui est contrainte d’accepter les châtiments de ses agresseurs. Comme si elle était du genre à écarter les cuisses comme ça, parce qu’on lui proposait d’effacer son ardoise. Et puis, franchement; ils se croyaient peut-être imposants, mais elle ne les voyait de loin pas comme tel. Dire que cette journée avait commencé comme n’importe quelle autre ! Rei avait eu ses cours, ses mensonges, ses heures de devoirs… et elle n’était sortie que pour s’acheter deux ou trois bricoles. Elle avait entendu parler de très bon couteaux ensorcelés, interdits à l’école mais qu’elle avait très envie de voir, de toucher… d’essayer ? De plus, cet endroit d’Atlantis était son préféré, ici, elle savait qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait, et que peu d’élèves avaient suffisamment de cran pour s’y aventurer. Le pied, quoi, aucune limite en ces lieux, aucun professeur ne pouvait l’arrêter dans ses achats louches Enfin bref, revenons à nos moutons; Choi Min Ae et elle étaient dans la merde, certes, mais tout ceci tendait fortement à devenir très excitant. Pas seulement parce que la situation de tromperie qu’elles offraient aux garçons pouvait être découverte n’importe quand - d’ailleurs, ce n’était pas totalement certain que cette réponse leur convienne… après tout, peut-être étaient-elles un couple libertin ? - mais parce qu’elle aimait ce genre de mensonges. Ça promettait, et la chose en elle-même était séduisante; un couple factice, de deux filles qui plus est (ce qui ne la gênait pas du tout, soit dit en passant)… ouais, c’était drôle. D’ailleurs, à voir l’expression qu’affichaient à présent les quatre mecs, ils étaient surpris… pas forcément dégoûtés, ce qui, en réalité, était un peu normal; les hommes fantasment sur les lesbiennes et les femme fantasment sur les gays, mais ils ne s‘en seraient certainement jamais douté d‘eux-mêmes. Rei esquissa un sourire en coin en haussant les épaules, puis jeta un regard à Min Ae, qui voulait certainement signifier « tu veux jouer à ça, hm ? et bien, jouons ». Ce n’était ni un défi ni une forme d’avertissement; tant que sa ruse marchait, elle n’y voyait aucun inconvénient; tant qu’elle était prête à jouer sur ça, aucun soucis. Elle ne savait pas réellement ce que valait Min Ae, c’était une bonne occasion de voir de quoi elle se chauffait. Entre elles, ce n’étaient que mensonges après mensonges, elles ne se connaissaient que sous formes d’images-patchworks qui n’avaient rien à voir dans la réalité; Rei s’en foutait si Min Ae lui avait dit un jour que ses parents étaient amateurs de sadomasochisme et qu’ils étaient alcooliques pour lui affirmer la semaine suivante qu’ils possédaient un château de cent domestiques au Maroc. Ouais, tout ça, toutes ces illusions qu’elles se créaient entre elles, elle s’en foutait. Ça ne lui apporterait de toutes façons rien d’apprendre à connaître Min Ae autrement, et vice-versa. Elles s’appréciaient, mais sans plus, elles n’avaient pas besoin de savoir la vérité. C’est pour cette raison, parmi tant d’autres, que Rei joua le jeu. Elle sourit de plus belle en hochant la tête.

« Vous comprendrez donc que je ne la laisserai pas faire ça, hm ? »

Rei était une personne très possessive, tout portait son nom une fois qu’elle y avait touché et effectivement, si ces deux-là sortaient vraiment ensemble, c’est probablement tout juste si elle ne lui aurait pas interdit formellement de parler à quiconque d’autre qu’elle. La brune lança un regard dissuasif à celui qui la matait outrageusement depuis le début de leur altercation; et non pauvre con, je ne ferai rien avec toi. Rei ne savait pas de quel bord elle était, pour dire vrai. Hommes, femmes… qu’est-ce que ça pouvait bien changer, hm ? Ils apportaient tous les mêmes ennuis, les mêmes catastrophes dans sa vie. Chaque fois qu’on s’intéressait à elle, elle se laissait, jetait comme on jette un papier dans une poubelle. Le manque de scrupule comptait assurément parmi ses pires défauts, pourtant, elle continuait à plaire à chacun des deux sexes. Les hommes aimaient son côté « femme fatale », sa souplesse, son malice, son caractère imprenable, tandis que les femmes étaient plus charmées par son sens des responsabilités, sa désinvolture, sa rébellion incessante. Elle plaisait, et elle le savait, elle en jouait même parfois. Ses relations n’avaient jamais duré très longtemps, ça ne la gênait pas. Pourquoi s’attacher à des imbéciles ? Autant jouer, sempiternellement, là était le plaisir à ses yeux. L’espace de quelques secondes, Rei songea qu’en ce moment, il s’en passait des choses, entre elle et les blondes… mais si elle se remettait à y penser, elle risquait de vite s’énerver. Jee Yie lui tapait sur le système, avec son petit côté fouine - même cela pouvait devenir intriguant également, hm. - et elle avait un peu l’impression d’avoir l’image de la muneo superposée sur celle de Min Ae. Toutes deux lui ramenaient des ennuis d’une façon différente, si ce n’était pas un signe, ça.
Rei soupira, se frotta le front. Elle commençait à avoir un peu froid, et elle se demandait si le bobard allait passer. Enfin, il n’y avait pas de raison pour que ça n’aille pas, hm ? Min Ae avait été assurée lorsqu’il elle avait dit ça, n’importe qui aurait pu y croire, même si, effectivement, ceux-ci n’étaient pas vraiment des plus malins au premier coup d’œil. Elles allaient bien ensemble, après tout, c’était plausible.

Rei ne s’était jamais imaginée dans les bras de Min Ae non plus, à vrai dire. En fait, Rei ne s’imaginait jamais dans les bras de personne; après tout, elle attendait de voir ce que la vie avait à lui réserver, elle attendait que quelqu’un s’intéresse à elle ou qu’elle s’intéresse à quelqu’un pour commencer à placer les éventualités dans sa tête. Au final, on ne peut pas vraiment dire qu’elle croyait au destin, mais elle laissait sa vie flotter sans vraiment se soucier du lendemain. Sa liberté à elle n’était autre que l’improbabilité, l’improvisation de chaque jour. Les évènements s’enchaînaient, pas toujours de façon positive, je vous l’accorde, mais elle essayait plus ou moins de ne pas faire de plans dans sa vie. Curieuse chose venant d’une personne qui aimait tout contrôler dans son existence - surtout dans celle des autres, en fait - mais pourtant, c’était bien vrai. La jeune Wa avait beau ne pas croire en Dieu ou en quelle que divinité que ce fût, elle voulait bien admettre que quelque chose là-haut ou là en bas intervenait parfois parmi leur destin. Ah, pas qu’elle considérât cette altercation avec ces yongwang comme un signe de destin - qu’aurait-elle dû en déduire ? Qu’elle faisait un bon couple avec Min Ae ? Et puis quoi encore ? - mais peut-être y avait-il eu un peu de chance infiltrée entre elles pour les mener à une chose pareille. Rien de mal ne pouvait leur arriver, de toutes façons, n’est-ce pas ? Elles mentaient bien, elle se mentaient constamment l’une à l’autre, sans que l’envie ne leur soit jamais venue d’aller chercher plus loin, alors pourquoi donc se passerait-il quelque chose de désagréable aujourd’hui, hm ?
Au début, l’espace d’une seconde et demie, Rei avait cru à une blague. Pas particulièrement une « mauvaise » plaisanterie, mais elle s’était un peu alarmée, elle avait vraiment pensé que quelque chose lui échappait. Mais avec un minimum de réfléxion, elle avait réalisé que sa camarade n’était pas trop du genre à plaisanter sur ce genre de choses, surtout une fois encadrée par une bande de garçons visiblement prêts à se faire menaçants, même si cet effet qu’ils espéraient produire tombait à plat. Cependant, Rei eut un sourire. Min Ae jouait bien la comédie, elles étaient crédibles. Après cela, des rumeurs risquaient de trottiner à leur sujet, évidemment, mais ce n’était pas la préfète qui allait s’en inquiéter; ces racontages de couloirs ne l’intéressaient pas, sauf lorsqu’ils étaient vraiment gros ou qu’elle les avait lancés elle-même.

Rei se laissa docilement faire, sa jeune amie se rapprochant d’elle, l’enlaçant pour bien démontrer la relation qu’elles étaient censées entretenir. Amusée par cette situation, elle offrit un petit sourire satisfait à la bande, un sourire suffisant et pourtant lourd de sens; petite amie ou non, mademoiselle ne voulait pas qu’il arrive quelque chose à la blonde, sans pour autant penser à lui flanquer trois gardes du corps montés comme des gorilles aux basques pour assurer sa protection. Tandis que Min Ae l’embrassait non-loin des lèvres, une étrange pensée lui traversa l’esprit; et si tout ceci n’était qu’une scène pour la séduire ? Si elle n’avait pas ressenti cette tension entre ses cadets avant de s’en mêler, Rei aurait presque pu croire à cette hypothèse farfelue, qu’elle préféra écarter vivement de son esprit. À se poser trop de questions, la mythomane risquait de douter de l’autre jeune fille ou d’en oublier totalement de jouer son rôle bien sagement, jusqu’à ce qu’ils partent sans demander leur reste. Pour le moment, elle devait s’en tenir à leur arrangement tacite, ce qui n’était pas si compliqué que ça. Si Min Ae avait été un thon, une conne ou quoi que ce fût de ce style de catégories-là que Rei préférait ne pas fréquenter de trop près, évidemment, il y aurait eu un pépin. Mais par chance, elle n’était rien de tout ça; Min Ae avait la chance assez bienvenue d’être intéressante, et même si Rei ne savait pas vraiment que penser d’elle, elle parvenait tout de même à lui soutirer un semblant assez prononcé de sympathie, voire d’affection.

« Bien entendu » répondit-elle à la plus jeune, qui lui demandait si elle avait son accord pour les bousculer s’ils cherchaient à les toucher, l’une ou l’autre. Elle doutait de la réelle capacité de Min Ae à la bataille, aussi petite et d’apparence fragile qu’elle était. Pour ce genre de choses, il va sans dire que la dame avait ce qu’il fallait; un bon entraînement issu des lynchages de yankees lorsqu’elle était encore à l’école chez les moldus, ou encore les accrochages dans les bars dans lesquels elle était passée spécialiste. « mais je doute que tu aies à faire ça, ces jeunes hommes devraient retourner voir leur maman, à présent. »

Et effectivement, c’est-ce qu’ils choisirent précisément de faire, ou du moins, à peu près. Après s’être échangés de drôles de regards, mi-incompréhensifs, mi-déçus, les jeunes hommes haussèrent les épaules d’un mouvement commun et terriblement synchronisé avant d’annoncer leur départ. Dieu merci. Rei n’avait pas vraiment pensé qu’il pouvait se passer quelque chose de foncièrement mauvais, ou qu’ils pouvaient devenir violents, mais les voir reculer dans l’allée sombre, les uns après les autres, comme s’ils avaient été privés de dessert, la rassura. Il aurait été bête d’engager le combat avec eux, et encore plus stupide d’accepter leur requête. Elle s’assura qu’ils avaient tourné au coin de la rue, là où ils ne pouvaient pas les voir, pour soupirer avec une intonation d’agacement pur qui n’échapperait à personne; tant de connerie, regroupée sur quatre ou cinq personnes, c’était désespérant. Bien sûr, qu’elles étaient belles. Elles étaient belle séparément, et elles étaient belles ensemble. Mais cela ne prétextait tout de même pas de vouloir user de leurs corps comme si… comme si elles étaient les employées d’un bordel. Le bordel d’Akiwa. Cette école commençait gentiment à se dévergonder. Cela faisait déjà bientôt sept ans qu’elle venait ici pour suivre son apprentissage de la magie, et les choses avaient bien changés ! Pas qu’elle eût envie de jouer les petites vieilles regrettant amèrement leur passé bien-aimé, mais pourtant, elle ne comprenait pas pourquoi tout semblait être axé sur le cul, ici. La plupart des élèves avaient été élevés chez des sorciers, sans pour autant tous être sang-purs, alors peut-être n’avaient-ils pas eut l’éducation des moldus ? Peut-être étaient-ils beaucoup plus frustrés qu’eux, les « sang-de-bourbe ». Voilà peut-être la cause de cette baisse du nombre des sang-purs, hm.

Sans brusquerie, Rei se défit de l’étreinte de Min Ae et lui lança un regard un peu amusé. Un sourire lui brûlait les lèvres, tout au plus, mais rien ne laissait transparaître totalement son amusement du moment; un peu de retenue, tout de même. « J’avoue que tu m’as surprise, pour le coup. Dire une chose pareille… j’ai songé à réfuter. Qu’aurais-tu fait ? » mensonge. Encore. Mais celui-ci, elle ne le verrait peut-être pas; après tout, il était bien plus que possible que la jeune Rei ai pensé à ne pas jouer le jeu. D’une certaine manière, à présent, Min Ae avait une dette envers elle qu’elle ne risquait pas d’oublier. Tout se paie dans la vie, et cette règle universelle, la septième année adorait en abuser à tort et à travers.

Rei ne portait pas vraiment attention aux personnes auxquelles elle plaisait. Nous n’irons pas jusqu’à dire que la demoiselle avait tout un fan club officiel qui la poursuivait tous les jours, mais oui, elle savait qu’elle suscitait parfois une admiration étrange. Elle avait quelques admirateurs et admiratrices qu’elle ne connaissait pas, mais qui ressortaient du lot; ils la regardaient passer, la bouche ouverte et les yeux brillants, un peu comme les groupies du plus beau garçon d’un lycée dans les mangas. Sauf que c’étaient les groupies de Rei, la plus belle fille de rien du tout. Elle n’avait pas vraiment la prétention d’être un canon; elle savait qu’elle n’était pas l’aide, mais ça s’arrêtait là pour ses appréciations à son propre sujet. Les gens étaient superficiels, elle l’était probablement tout autant qu’eux, et ce besoin si intense de s’identifier à autrui pour trouver sa place dans la société agaçait Rei plus qu’il ne lui correspondait réellement. Si elle voulait volontiers croire que son mode de pensée fonctionnait à peu près comme celui de tout un chacun, elle refusait de penser qu’elle calquait sa vie sur celle des autres sous prétexte de vouloir se faire accepter. Elle n’avait pas besoin de ça pour se faire accepter. Elle n’avait tout simplement pas besoin de se faire accepter, en fait. Depuis toute petite, elle se fichait du monde, se jouait de son entourage, s’en protégeait même dans son petit monde de mensonges et d’illusions. C’était une défense efficace, qui la rendait un peu folle, certes, mais qui ne manquait pas de la préserver des gens. Parce que oui, peut-être qu’au fond d’elle-même, ce qui l’effrayait, c’était les gens. Ce qu’ils pouvaient faire d’elle, ce qu’ils pouvaient la mener à faire, le mal qu’ils pouvaient lui retourner sans raison. Elle avait perdu son amitié pour le genre humain, et plutôt que de le haïr, se plaisait à reconstruire le monde dans ses songes et ses délires. Enfin. Non. Elle ne s’y plaisait pas vraiment, disons qu’elle… s’en contentait, à défaut d’avoir une meilleure solution pour le moment. Bref, toujours est-il que la remarque de Min Ae au sujet du gros pataud qui, effectivement, la fixait intensément depuis leur altercation ne l’étonna pas vraiment. Elle eut un sourire pâle suivit d’un petit haussement d’épaules vaguement agacé. « Maintenant tu le sais. » Elle disait ça pour répondre quelque chose. Ça sonnait probablement comme de la vantarderie, mais son but premier était de se montrer comme indifférente face à ce fait qui en gonflait certains de fierté. En effet, elle n’y portait pas très grande importance: elle ne savait seulement pas comment traduire ça autrement.

Cependant, le fait que Min Ae puisse la croire sur son éventuel refus de l’aider la surprit. Rei n’avait pas particulièrement espéré qu’elle se serait offusquée, ou qu’elle aurait été capable de déceler son mensonge, mais oui, Min Ae la croyait et ça retournait véritablement du surprenant. Peut-être qu’à force de lui mentir, elle ne cherchait plus vraiment la vérité dans ses paroles, et cette idée conforta la japonaise alors qu’elle décidait de ne pas pousser la question plus loin. Elle se disait capable de les repousser d’elle seule… pourquoi pas, après tout, Rei ne savait pas si elle en avait les capacités. Mais son intervention lui avait été bénéfique tout de même, c’était évident. Encore une fois, elle s’abstint de tout commentaire, sage Rei, sage. Elle n’avait ni envie de s’engueuler avec Min Ae pour un truc idiot, ni vraiment envie de la contrarier pour le plaisir primaire de la contrarier. Mais voici que sa camarade venait à son tour poser des questions. C’était partie remise, Rei ne risquait rien d’y répondre. Pourquoi avait-elle accepté de lui prêter main forte ? C’était une bonne question, mais la réponse n’était pas très compliquée à comprendre et à émettre. Et Min Ae avait raison, sa charge de préfet n’avait rien à voir avec son aide. Elle ne prenait pas vraiment ce travail à cœur, elle préférait largement en user à tort et à travers pour exercer une certaine puissance sur les autres élèves que bien peu avaient. Honnêtement, elle avait été très surprise d’être choisie pour cette tâche. Pour elle, à observer les préfets des autres maisons, elle s’imaginait plutôt un élève bien tranquille, respectueux, de confiance. Mais en y repensant plus intensément, ce genre d’élèves étaient rares à ineo… peut-être qu’ils avaient voulu s’amuser un peu en la désignant, elle qui aimait affirmer sa supériorité. Et avouons-le, ce rôle lui plaisait énormément. « Ça n’a effectivement rien à voir avec mon devoir… tu sais bien que je ne m’en occupe pas beaucoup, d’ailleurs. Je pense que je ne te souhaite pas de mal, c’est tout. Alors j’ai trouvé ça logique de te venir en aide. On aide ceux qu’on veut protéger, non ? » Oui, voilà. Rei avait voulu protéger Min Ae, parce qu’au fond, elle était une des rares à la supporter et à pouvoir tenir une conversation avec elle sans lui donner envie de lui couper la tête pour jouer au Quidditch avec. Ouais. Rei aimait bien Min Ae, aussi tordu que cela puisse paraître. Pas besoin de se prendre la tête avec elle, pas besoin de devenir une nounou comme avec Jee Yie, pas besoin de supporter une pudeur et une intelligence agaçante comme avec Nichido. Peut-être était-elle seulement solidaire à sa maison, mais tout de même, si Min Ae s’était retrouvée à geobuk ou yongwang, ça n’aurait probablement rien changé à ses yeux. « Je crois que je t’aime bien. » avoua-t-elle avec une drôle de mine, comme si elle doutait de ses propres mots. En effet, elle doutait; elle qui n’avait pas l’habitude de bien s’entendre avec autrui, c’était assez nouveau de dire « je t’apprécie » à quelqu’un qui n’en avait de toute évidence pas tant demandé. Rei ne s’attendait pas à un « oh oui, moi aussi je t’adore, unnie ! », mais une telle chose lui aurait fait plaisir. Après tout, entre Min Ae et elle, c’était une relation étrange, mais elles n’avaient aucune raison de se détester, n’est-ce pas ? Rei ne l’ignorait pas, elle lui portait attention, donc il ne pouvait pas y avoir réellement de haine entre elles, sinon elle n’aurait pas fait tout ça. Elle ne serait pas venue faire déguerpir ces abrutis qui en voulaient à leurs fesses, elle n’aurait pas accepté de mentir à ses côtés pour s’amuser. Rei s’amusait bien avec Min Ae, et peu de gens pouvaient se vanter de soutirer ce genre de choses d’elle.