Un devant l’autre et une soudaine appréhension ; quelqu’un la suivait. Sayuri pressa un peu le pas ; elle avait vus bien assez de films pour se faire des idées morbides, et c’était bien ça le problème. A travers ses lunettes teintées de noir on pouvait observer ses yeux se balader de droite à gauche dans l’espoir de trouver un groupe de touristes qui seraient prêts à lui venir en aide si un dégénéré avait l’idée de l’enlever. Comment disait-on déjà en français ? « à l’aide ? », ou peut-être étais-ce plus sûre d’utiliser l’anglais ? Enfin si ses peurs s’avéraient être bien réelles, car Sayuri avait toujours tendance à en vouloir en faire trop ou à partir dans des divagations improbables. Et finalement, quand elles y repensaient quelques jours plus tard, la demoiselle se lamentait souvent d’avoir pu imaginer des scénarios impossibles.

Quoi qu’il en soit, à cet instant, la possibilité d’être suivit était tout à fait plausible. Et même si Sayuri tenta de se rassurer mentalement, une certaine incertitude persistait en elle. Se faire enlever en plein jour dans un parc visiter par beaucoup de touristes était pourtant… une idée ridicule, mais pour Sayuri, plus rien n’était impossible à Tokyo.
Chaque jour dans la presse, elle lisait les nouvelles vagues de suicides des tokyoïtes et des nouvelles attaques d’un étudiant devenu fou aussi simplement que s’il avait été question de la météo du jour. Et peut-être même que d’ici peu, elle se retrouverait dans la rubrique des faits divers ou des personnes disparues. Combien de personnes seraient alors prêtes à partir à sa recherche ? Il ne valait mieux pas y réfléchir, c’était le genre de question qui pouvait détruire votre journée et vous envoyez broyer du noir. Alors, il valait mieux essayer de penser à autre chose, déjà qu’aujourd’hui ne s’annonçait pas être une journée des plus merveilleuses puisqu’elle en était réduite à se promener seule dans un parc où l’on pouvait surtout apercevoir en temps normal des couples ou des bandes d’amis. Mais Sayuri Hanazaki était seule. Et peut-être même qu’elle regrettait avoir été d’humeur maussade pendant ses heures de cours…

Que ferait-elle le reste de sa journée ? Lézarder dans ce parc était divertissement une heure ou deux, mais elle n’allait quand même pas passer des heures à rien faire. Sayuri ne travaillait pas aujourd’hui. Cela faisait environs à peine deux semaines qu’elle avait trouvé un emploie dans un magasin branché dans la tour de Shibuya, la demoiselle n’avait pas d’expérience et elle se doutait bien qu’elle avait été embauché pour son apparence soignée. Mais c’était un travail amusant et elle se plaisait à conseiller des jeunes filles ou à admirer les derniers arrivages de vêtements. A bien y réfléchir, ce n’était pas vraiment un travail en faite ; mais plutôt un divertissement. En effet, Sayuri n’avait pas besoin d’argent car ses parents couvraient la plus grande partie de ses dépenses.

Par conséquent son emploi du temps pour la journée s’annonçait aussi palpitants qu’une de ces réunions de famille auxquelles elle avait été obligée de participer tout au long de sa vie.

Finalement au bout d’une dizaine de minute de marche, Sayuri se rendit compte qu’elle avait complètement oublié cette histoire de pistage, et se décida à s’asseoir sur le seul banc libre à sa disposition. La demoiselle tenait toujours sa glace dans la main mais n’y prêtait plus vraiment attention, ses pensées s’était dirigée vers une autre préoccupation ; elle était persuadée que quelqu’un avait marcher derrière elle durant une bonne partie de son trajet, mais à présent qu’elle s’était assise sur ce banc, Sayuri se rendit qu’à part les personnes qui occupaient les autres bancs avant même qu’elle ne soit arrivée ici ne semblait se préoccupée de sa présence.

Un soupire de soulagée bizarrement mêlé d’agacement, elle s’était encore laisser divaguer dans des scénarios improbables alors que personne ne semblait avoir arrêter son regard sur elle plus d’une seconde. Dans d’autres circonstances cela l’aurait d’ailleurs un peu dérangée, elle qui était habituée à avoir les regards tournés vers elle mais aujourd’hui, cela lui importait peu. C’était même mieux, cachée sous ses grosses lunettes noires, les cheveux maladroitement coiffés. Elle n’avait pas vraiment envie qu’on la reconnaisse même si la jeune fille dégageait toujours une certaine beauté accentuée – de manière surprenante – par son naturel.

Ses yeux fixèrent sa glace qui allait sans doute commencer à fondre si elle ne la mangeait pas maintenant, pourtant elle ne fit rien. Et se contenta d’observer tour à tour les gens assis un peu plus loin.

Son cœur rata un battement et ses yeux s’élargirent sous la surprise. Quelqu’un s’installa par derrière à côté d’elle en sautant directement sur le banc, Sayuri eut tout juste le temps de s’affoler avant qu’une voix ne s’élève. Et avant même que la jeune fille eut dirigé son regard vers la personne, Sayuri savait déjà à qui appartenait cette voix. Elle n’eut pu s’empêcher de sourire face à la déclaration de Miki.
D’accord, les bancs étaient tous occupés, c’est vrai, mais la demoiselle ne pouvait s’empêchait d’afficher une mine espiègle :

« Je t’en pries, assis-toi. Je commençais justement à m’ennuyer. »

Sayuri observa quelques instants Miki de bas en haut, elle dégageait une certaine classe que les autres n’avaient pas. La jeune fille ne pouvait pas dire exactement à quoi cela était dû, peut-être étais-ce à cause de son androgynie ou bien de ses tenues toujours impeccable, ou peut-être même était-ce à cause de cette nonchalance qui l’exaspérait au plus au point mais qui d’une certaine façon la faisait rire. Quoi qu’il en soit, le regard de Sayuri s’était tout de suite dirigée vers Miki la première fois qu’elle l’avait croisé.

« Tu en veux ? » demanda-t-elle, en désignant d’un coup de tête sa glace.

Parfum thé vert, un peu amère, à vrai dire. Mais le goût sucré de la glace masquait l’amertume du thé vert. Elle se demandait si Miki s’était finalement décidée à arrêter de résister au petit jeu de charme de Sayuri, mais celle-ci ne s’attarda pas vraiment sur cette pensée et se contenta d’ajouter d’une voix malicieuse :

« Pendant un instant j’ai cru que quelqu’un me suivait mais… J’ai dû me tromper une fois de plus, n’est-ce pas ? »