Chaud. Sang Min avait très chaud, là, la tête mollement reposée sur son livre de sortilèges et les yeux braqués sur un professeur déchainé en plein discours. En réalité, il ne le voyait même pas; s’il regardait dans cette direction précise ce n’était que pour donner la vague illusion à son entourage qu’il suivait le cours -avec ou sans enthousiasme-. À force, les autres élèves devaient sans doute savoir qu’il ne devait pas ses bonnes notes à son attention en classe mais simplement à sa miraculeuse capacité d’enregistrer tout ce qu’il entendait dans un coin lointain de sa tête. Très bonne mémoire auditive ? Peut-être même plus, qui sait, en tant que sorcier il avait probablement développé ce don sans s’en rendre compte au fil des années. Au moins, ça lui servait à quelque chose. Certes, il n’avait de loin pas la classe d’un animagus ou d’un métamorphe, mais bon… il se contentait et se satisfaisait de ce qu’il avait sans broncher. Et puis, lui, au moins, il avait de splendides notes dans toutes les matières, ce qui n’était pas la chance de tout le monde ici, sans viser personne en particulier. Bref. Machinalement, il décolla sa joue d’une page de son bouquin et changea son bras d’emplacement pour le glisser sous son menton, toujours allongé de tout son long sur son bureau. D’une main, il desserra son nœud de cravate avec un grognement peu élégant. Les uniformes, ce n’était vraiment pas son truc. Quoique, les fringues en dehors des cours non plus. Il ne suivait pas la mode, s’habillait avec ce qui lui tombait sous la main le matin même (c’est-à-dire, généralement, n’importe quoi) et n’accordait même jamais ses chaussettes, laissant les couleurs les plus folles s’épouser pour un résultat ridicule. Personne n’allait porter attention à la façon dont il s’habillait, de toutes façons ! Commandement premier pour être un bon Choi Sang Min: ne pas faire attention au regard des autres. Ça, il le faisait encore assez bien. Il faut dire, aussi, qu’il était inscrit dans sa nature de ne pas trop s’inquiéter de ce que pouvaient penser les gens de lui, optant pour une vie tranquille et originale s’il le fallait. N’étant globalement pas vraiment populaire à l’école, sans faire groupe à part non plus, c’était clair, son existence paisible et calme comme le lac convenait exactement à l’image qu’il se faisait du bonheur. Il en faut bien peu pour être heureux, n’est-ce pas ?
Son professeur passa devant lui, assénant un coup à l’arrière de sa tête à l’aide du plat de la main pour le faire se redresser. Lentement, trèèèèès lentement, il daigna se mettre plus ou moins droit, se tassant cette fois-ci en arrière contre le dossier de sa chaise, les mains sagement posée sur la table. Devant lui, des livres, un bloc note sempiternellement vide, quelques stylos, une montre moldue défectueuse… un joli bordel qu’il mettait en place soigneusement à chaque cours pour ne pas le retoucher jusqu’à la fin. Il faisait toujours planer son regard avec nonchalance au dessus de tous ces objets inutiles, alternant entre ses moments d’écoute brève, pour ensuite se remettre à bâiller aux corneilles les yeux mi-clos. Les cours, il détestait ça, et une fois en dehors des salles de classe, il changeait presque totalement de personnalité pour devenir nettement plus concerné par son environnement. Oh, évidemment, toujours craintif à l’idée qu’on puisse profiter de sa personne s’il montrait trop ce qu’il ressentait, son éternelle carapace restait fermement accrochée à sa peau. Une protection en surplus, voilà tout ce qu’était ce stupide bouclier qu’il entretenait avec tant d’ardeur. Sans doute avait-il une fausse image du mec classe et aimé de tous, celle qu’on voit dans les films et dans les mangas; celui qui parle peu, qui s’éloigne du reste du monde et qui ne juge pas les autres dignes de lui adresser la parole. En vérité, le Sang Min n’était pas comme ça du tout. Il avait peur d’être rejeté sans savoir pourquoi. Dans le genre, le yongwang était plutôt un gentil idiot qui aimait bien déconner en petit comité et qui savait aider ses proches, sa famille, qui étaient très important à ses yeux. Mais pour ça, il fallait malheureusement le connaître comme le fond de sa poche, autrement il ne faisait aucun effort pour s’ouvrir. Aah, trop compliqué ce jeune homme, aucun de vous tous n’aimerait être dans sa tête !
La fin de l’heure tonna, et d’un bon, monsieur se leva, empaqueta tout son matériel qu’il fourra négligemment de son sac et fut le premier à sortir dans le couloir. Un flot relativement impressionnant d’élèves s’y pressaient, se bousculaient et se criaient les uns sur les autres en faisant de grands gestes. Ah, oui. Dans tout ça, il n’avait pas remarqué que l’heure du déjeuné était arrivée, événement journalier qui provoquait toujours des émeutes dans les couloirs. Normal, après plusieurs heures d’études, tout un chacun était en droit d’être affamé comme un loup et d’avoir envie de se jeter sur n’importe quel aliment pouvant lui ôter sa faim. Lui-même, la plupart du temps, était capable de se jeter sur la nourriture comme s’il n’avait pas mangé depuis deux jours juste pour récupérer de l’énergie. Mais pas aujourd’hui ! Pour le moment, il n’avait pas faim. Ce qui, en soi, était un peu normal puisqu’il avait mangé comme sept lors du petit déjeuner… ben oui, y’avait des pancakes… et le Min ne savait tout simplement pas résister aux pancakes. Tout comme il ne résistait pas non plus aux bonbons, au chocolat, ni même aux biscuits. En fait, tout ce qui était sucré. Un peu comme les filles, il adorait se goinfrer de n’importe quelle substance devant un bon film ou en lisant un livre. D’ailleurs, c’était peut-être bien pour cette raison qu’il était légèrement en chair, sans être gros pour autant. Ni particulièrement rond. Juste qu’il avait un peu de graisse autour des os et qu’il paraissait, au premier regard, un tantinet moins maigre que les autres asiatiques. En plus, il ne passait même plus inaperçu depuis qu’il avait eu la brillante idée de se teindre les cheveux en blond; un stupide pari perdu avec un ami. Il avait usé de quelques sorts pour ne pas avoir à utiliser des substances moldues qui risquaient d’être trop salissantes, et la couleur était bien flash… oh, Sang Min n’était pas le seul à avoir eut l’idée de se teindre les cheveux aussi clairs, et autant dire qu’ils ne passaient jamais inaperçus. Sauf que lui, lui, ce n’était vraiment pas habituel qu’on le remarque où qu’il aille. Bref. Comme dit plus haut, il n’avait pas faim, aussi, plutôt que de se diriger, comme tout le monde, en direction du réfectoire, il tourna dans le sens inverse et se mit tranquillement à marcher jusqu’à parvenir à l’extérieur. Les élèves se faisaient rares, et moins il y en avait, mieux il se sentait. Ouais, il avait un peu envie d’être tout seul, ces derniers jours. De se rouler en boule dans un coin pour ne pas se relever avant de longues, longues heures, histoire de pouvoir penser de tout son soûl. Penser. Il avait presque l’impression de ne plus en avoir le temps ni même le droit, il devait être partout à la fois pour s’occuper de sa sœur ou d’autres gens. Penser à lui-même ? Oh, naturellement, il le faisait lorsque l’occasion se présentait -rarement, donc-. Et puis, ce n’était de loin pas un pauvre jeune homme au bord net de la dépression ou de l’envie suicidaire. Juste… un peu bizarre ? Non, plutôt très lunatique, changeant d’humeur, de goûts et d’envies en moins de temps qu’il n’en faut pour un mage noir de tuer quelqu’un. Bien sombre comparaison.

L’herbe était encore humide. Sans avoir besoin de baisser les yeux, il le sentait; l’eau s’infiltrait déjà sous ses semelles et tentait à présent de percer le tissu de ses chaussettes dépareillées. Et la terre glissait sous ses pas. En réalité, il ne faisait pas très beau aujourd’hui. Le ciel menaçait sérieusement de faire s’écrouler la pluie sur leurs petites têtes et les nuages, gris comme une perle, paraissaient même trembler sur place. En gros, un temps de chien, comme on dit. En parlant d’animaux, il était arrivé près du lac, et apercevait à quelques mètres de lui, deux formes qui semblaient discuter l’une avec l’autre. Sang Min devina la première comme une sirène, dotée d’une longue queue de poisson et encore à moitié immergée dans l’eau froide. Oui, au mois d’octobre, il ne devait certainement pas très chaud, même pour elle. Et face à cette belle créature, les pieds fermement plantés sur la rive, dans son uniforme aux couleurs de sa maison… tiens donc. Kang Jee Yie. La simple résonnance de ce nom dans sa tête ne signalait pour lui rien qui vaille. Il n’avait rien de particulier contre elle -après tout, elle était gentille, douée en magie et très jolie-, mais elle, en revanche, donnait l’impression de le détester à chaque fois qu’ils se croisaient. À chacune de leurs rencontres, il se passait quelque chose de dramatique pour lui, un incident qu’on pouvait facilement faire passer pour un accident avec un peu de préméditation. Par sa faute, il finissait souvent à l’infirmerie, ce qui l’avait, dans la logique Sang Minienne, mené à la conclusion suivante: Kang Jee Yie ne me saque pas, donc elle fait tout pour me causer des ennuis. Une conclusion peut-être un peu hâtive, puisqu’au premier abord, elle ne semblait pas du genre à chercher à faire du mal aux autres. Ce qui, en un sens, était encore pire. Elle était imprévisible, donc dangereuse pour sa pauvre petite personne. En gros, c’était THE fille à éviter en tous temps, quitte à se cacher sous la robe d’un professeur et à se faire coller pour voyeurisme. Évidemment, qui n’espérait pas avoir une vue exclusive sur les dessous de la professeur de sortilèges ? Elle semblait bien conservée, malgré ses 70 ans !
Silencieusement, et surtout par curiosité mal placée, Sang Min avança jusqu’à se glisser derrière un arbre en espérant entendre quelques bribes de conversation. Si ça se trouvait, Jee Yie complotait quelque chose contre l’école toute entière avec ce monstre ! Parano ? Évidemment, le Sang Min se fait des films en permanence. Discrètement appuyé contre le chêne, il ne vit pas tout de suite l’énorme araignée grimper sur sa main; ce n’est qu’après l’avoir sentie tenter de se glisser à l’intérieur de sa manche qu’il tourna brutalement les yeux vers la boule noire grosse comme un cendrier et qu’il lâcha un hurlement terrifié en agitant son poignet en tous sens. Lorsqu’enfin la bestiole sauta à terre, lui tomba à la renverse en se prenant les pieds dans une racine, échappant un nouveau cri. Sur le dos, les yeux rivés vers le ciel, il réalisa pour la énième fois à quel point il pouvait haïr les araignées. Et les abeilles. Les limaces, aussi. En fait, tout ce qui pouvait être plus ou moins considéré comme faisant partie du règne des insectes. Un peu sonné, il se plaqua une main sur la bouche. Merde, les deux créatures en discussion l’avaient sûrement entendues. Niveau discrétion, le Sang Min repassera son examen un autre jour.