Seung Lim jeta un dernier coup d’œil dans le miroir, et laissa un sourire satisfait se dessiner sur ses lèvres. Il était vêtu d’un pantalon à pinces, d’une chemise blanche et d’un veston cintré. D’un geste vif, il attrapa le chapeau gris posé sur son lit et le posa sur sa tête. Le petit revolver dans la main, il ressemblait tout à fait à Clyde, bouillant d’impatience d’aller chercher Bonnie. Bon, un Clyde asiatique, mais tout de même… il avait cherché pendant des heures pour trouver le costume parfait. Lorsque Jee Yie avait évoqué le célèbre couple, il avait eu un moment de flottement : il y connaissait pas grand-chose en méchants moldus lui… mais il s’était plongé dans leur histoire, et s’était rapidement enthousiasmé à l’idée de se déguiser en ce célèbre malfaiteur, qu’il trouvait particulièrement classe. Il avait cherché dans des livres moldus des reproductions, et avait passé du temps à chercher son costume. Et maintenant qu’il se regardait, il était plutôt content du résultat. Le jeune homme laissa échapper une exclamation satisfaite, et se tourna vers son jumeau, qui essayait tant bien que mal sa tenue… féminine.

« Changiiiiiie ! Ne suis-je pas le plus sexy des hommes ? »

L’aîné des Oh n’attendit même pas la réponse de son jumeau, et attrapa sa baguette qu’il rangea dans son veston, une veste et sortit en annonçant joyeusement qu’il allait chercher sa cavalière. Pour se rendre chez les Muneo, il devait forcément descendre quelques étages. Gambadant joyeusement dans le château, sensible à l’atmosphère de fête qui flottait dans l’air, il s’amusa à surprendre les couples qu’il croisait, brandissant son mini-pistolet devant eux en lançant un « PAN » retentissant, avant d’éclater de rire et de repartir en sautillant, laissant les autres élèves médusés devant ce crétin de Yongwang. Pourtant, ils devaient être habitués, depuis le temps que les Oh sévissaient dans l’établissement. Mais la connerie humaine surprend toujours, même lorsqu’elle vient d’un Yongwang.
Arrivé devant la porte de la salle commune des Muneo, le jeune homme prit une profonde inspiration, tout de même un peu nerveux à l’idée de retrouver sa cavalière. Jee Yie le trouverait-elle à son goût ? Il fallait avouer qu’ils ne se connaissaient pas beaucoup… et le fait d’aller au bal ensemble relevait d’un sacré hasard – et d’une bonne dose de chance… pour lui, en tout cas.

Leur rencontre, il avait honte de l’admettre, il la devait à Kessy. Il avait laissé échapper devant ce crétin d’Ineo (à qui il n’avait, d’ailleurs, toujours pas réussi à jouer un tour ; ce mec avait un sixième sens vraiment, pire qu’un chat) qu’il n’avait toujours pas de cavalière pour le bal. Etrangement gentil – que lui arrivait-il donc ? – le rouge lui avait fait remarquer que sa propre cousine, Jee Yie, n’avait également pas trouvé de cavalier. Coïncidence ? Je ne pense pas. En tout cas, l’idée d’inviter la jolie Muneo le séduisit, et il était sur le point de courir au balcon de sa belle pour lui demander sa main, quand son sage ami – ou future victime, tout dépendait du point de vue – le rattrapa par la chemise, l’empêchant d’aller commettre l’erreur de sa vie. Et voilà que là-dessus, l’Ineo lui fit un cours sur « comment on invite une Kang Jee Yie à un bal ». Lui donner un cours sur la séduction à lui, Oh Seung Lim ! Décidemment, ce Kessy ne manquait pas de toupet… mais le Yongwang était gentil, et avait consenti à lui accorder un peu de son temps. Et puis, Kessy était le cousin de la belle, alors il devait la connaître un peu. Du moins il l’espérait, sinon bonjour la famille d’inconnus. Il apprit donc que le meilleur moyen d’approcher Jee Yie, c’était de lui remettre une lettre. Et quoi de plus simple que de passer par ce très cher et très serviable cousin, qui se trouvait devant lui ? Accompagnée d’une jolie rose, la lettre serait du plus bel effet. Et finalement, le Yongwang trouva l’idée sympathique, et remit un joli paquet à l’Ineo, en le priant « de lui transmettre la réponse de sa damoiselle au plus tôt ». Mot pour mot.
Quelle joie fut la sienne lorsqu’il reçut une réponse, le lendemain ! Réponse positive qui plus est. Si Kessy n’avait pas été Kessy, et Seung Lim lui-même, il lui aurait volontiers sauté au cou pour danser la farandole. Que le Yongwang aimait qu’on l’apprécie. Bien sûr, il ne sut jamais les dessous de l’affaire, et le rôle de Kessy dans celle-ci… c’est pourquoi il ne comprit pas la froideur apparente de la jeune femme à leur première rencontre ; mais il s’appliqua si bien à la faire rire que petit à petit, il sentit l’atmosphère se détendre eux, et ils purent rapidement décider de leurs costumes. Bonnie & Clyde. Si cela leur correspondait ? Honnêtement, il ne le savait pas. Mais ce qu’il savait, c’est qu’il avait hâte de voir la demoiselle dans son costume.

Une fois arrivé devant la porte des Muneo, il attendit un peu. Ils avaient convenus de se retrouver ici trente minutes avant le début du bal, mais il était venu un peu en avance. Il s’occupa l’esprit en étudiant les couples qui passaient devant lui. Tiens, il reconnaissait ces deux-là. Celle-ci semblait boudinée dans sa robe… et lui devait avoir raté sa coloration, car ses cheveux arboraient une teinte verdâtre pas du tout assortie à son costume. Mais lorsque Jee Yie sortit de sa salle commune, elle éclipsa tout le reste, et laissa le jeune homme pantois. Elle était vraiment magnifique.
Avec un petit sourire, le jeune homme s’inclina légèrement devant sa cavalière.

« Ma chère Bonnie, vous êtes magnifique ce soir. Décidemment, vous allez faire tourner des têtes, la mienne en premier. »

Le jeune homme se redressa et, avec sa familiarité habituelle, passa le bras de la jeune femme dans le sien avant de la conduire à la salle de bal.
Là, il faut bien l’avouer, Seung Lim ne suivit pas tout ce qui se passa. Trop occupé à chercher son frère et son crétin de cavalier dans la foule, il n’écouta que d’une oreille distraite le directeur, n’entendit pas le mot labyrinthe, et lorsqu’un elfe de maison vint les traîner en dehors du château, il le suivit avec un certain étonnement. Jee Yie toujours à son bras, ils traversèrent le jardin, et se retrouvèrent tout d’un coup dans le labyrinthe, sans guide, et paf, sans moyen de fuir. Et là, comme par miracle, le cerveau du Yongwang se remit à fonctionner.

Ils se trouvaient donc dans un labyrinthe ; or, Seung Lim avait horreur des labyrinthes. Non seulement il avait un sens de l’orientation atroce, mais en plus, il faisait froid. Sans dire un mot, il enleva la veste de ses épaules pour la déposer sur celles de Jee. Quitte à passer un moment ici, autant qu’elle ne se choppe pas une pneumonie. Lui résisterait, il avait survécu à toutes les maladies de son frère, il survivrait bien à un petit vent frisquet. Quoique… L’endroit semblait assez inhospitalier. Pour être honnête, Seung Lim avait dû rentrer deux fois dans sa vie ici, et il n’en était jamais sorti seul. Après avoir parcouru des yeux l’endroit d’où il se trouvait, le jeune homme se planta face à sa cavalière, l’air pensif.

« Bon, de là où nous en sommes, plusieurs conclusions s’offrent à nous : tout d’abord, le directeur est cinglé. Deuxièmement, nous n’avons aucun moyen de savoir où nous sommes, donc pas de moyen de trouver la sortie. Il va donc sûrement falloir qu’on y aille au feeling. Troisièmement, vu que le directeur est cinglé, il doit sûrement nous réserver quelques surprises. »

Le jeune homme sortit sa baguette, murmura un léger « Lumos », leur permettant ainsi de s’éclairer. Quitte à marcher, quitte à voir où ils posaient les pieds. Il fit quelques pas et, se retourna, avant de tendre la main vers la jeune demoiselle.

« Ma chère Bonnie, que diriez-vous d’une petite balade nocturne en ma compagnie ? Je suis sûr que nous allons rencontrer des gens chaaarmants… mais ne vous inquiétez pas, Clyde a toujours une balle dans sa poche, pour qui ose embêter sa belle. »

Il avait un ton insouciant, presque joyeux ; mais intérieurement, c’était la débandade. Il détestait les labyrinthes, et cette aventure ne lui disait rien qui vaille. Le courage des Yongwang n’égalant que leur bêtise, il n’avait pas pour ainsi dire peur : cela lui semblait être un grand jeu, et il se sentait l’âme d’un joueur. Mais Jee Yie n’était peut-être pas de cet avis, et il ne voulait pas l’effrayer : en tout cas, il la protégerait, s’il se passait quoi que ce soit.

Qu’il faisait sombre dans ce foutu labyrinthe ! Et froid ! Et qu’il avait envie d’en sortir ! Seung Lim adorait jouer, mais pas de cette façon : il détestait qu’on lui impose un jeu dont il n’avait pas établi lui-même les règles. Malheureusement pour sa jolie cavalière, il détestait également perdre, et considérait à présent l’épreuve que leur imposait le directeur comme un défi personnel. Il allait donc tout faire pour gagner, quitte à brûler le labyrinthe en entier… tiens, ça marcherait peut-être. Par contre, cet imbécile de directeur ne devrait pas s’étonner s’il retrouvait son bureau repeint avec de la boue. Il ne fallait pas forcer le Yongwang à faire quelque chose qu’il détestait, si on voulait sans sortir sans représailles… comment ça, il risquait de se faire virer s’il faisait ça ? Franchement, quelle importance ? De toute façon il allait bientôt sortir de là, alors autant faire payer à ce cinglé de directeur sa farce stupide…
Et Jee Yie elle, comment le prenait-elle ? La lumière que projetait sa baguette lui permettait de distinguer les traits de son visage, et il put se rendre compte qu’il n’était pas le seul à ne pas apprécier la situation. Pas étonnant, en même temps. Il connaissait mal la jeune femme, mais n’étant lui-même pas ravi de leur situation, il comprenait que ça pouvait être le cas pour elle aussi. Cela devait même être pire : avec sa jolie tenue, ce ne devait pas être très confortable pour elle de marcher dans la terre meuble, et elle risquait d’être rapidement gênée par ses talons… il allait en faire la remarque, mais cette dernière fut bien vite reléguée au fin fond de son esprit, puisque Jee prit la parole.

« Oh si tu avais refusé, j’aurais certainement dû t’abandonner ici pour aller me balader seul, au milieu de ces charmants bois… mais tu aurais certainement trouvé la sortie avant moi, on m’a souvent complimenté pour mon sens exceptionnel de perdition. Moins pour l’orientation, bizarrement… »

Oh Seung Lim, ou l’art de rassurer les gens. Evidemment il plaisantait – à moitié. Mais la plupart des gens n’étant pas sensibles à cet humour très particulier des Oh, il craignit soudain que la jeune femme ne l’eut pris au sérieux. Il lui adressa donc un sourire avenant, et prit un ton plus sérieux.

« Je plaisante. Je ne suis pas du genre à me perdre facilement. »

Pieux mensonge. La jeune femme posa sa main dans la sienne, et ils avancèrent, lentement. Décidemment, la tenue de Jee Yie ne se prêtait vraiment pas à ce genre d’excursion… il espérait que ses talons ne lui blesseraient pas les pieds, il avait trop souvent entendue ses amies se plaindre de mal de pied après avoir marché trop longtemps avec ces instruments de torture. N’empêche, quelle chance qu’ils n’aient pas choisi comme thème Alerte à Malibu, comme l’avait suggéré le jeune homme. Il avait été enthousiasmé par cette série moldue, la première fois qu’il avait regardé la télévision. Mais en maillot de bain, ils n’auraient certainement pas réussi à parcourir la moitié du chemin avant de mourir de froid.
Jee Yie semblait vraiment inquiète, et Seung Lim regretta un instant d’avoir révélé le fond de sa pensée concernant le directeur. Etant un expert en farces diverses et variées, à la place du directeur, il aurait sûrement parsemé leur chemin d’embûches en tout genre, pour leur compliquer la tâche. Mais il n’était pas ce cinglé, et il ne savait pas comment ce dernier pensait. Néanmoins, il avait inquiété la jeune femme. Le jeune homme exerça une légère pression sur la main de sa compagne pour la rassurer, et tourna la tête vers elle.

« Oh non, les fantômes préfèrent rester dans le château en général. Mais ne t’inquiètes pas, je ne pense pas qu’il se trouve quoique ce soit de dangereux ici. Si le directeur a voulu nous faire une farce, il a dû au pire placer cette vieille chouette qui assure les cours de potions pour nous poser des énigmes incompréhensibles et nous empêcher de passer. Mais nous sommes ses élèves, il n’oserait pas nous laisser face à quoique ce soit qui puisse nous faire du mal. »

Ah, s’il avait su ! En réalité, il ne croyait qu’à moitié à ce qu’il racontait. Ils étaient tordus dans cette école, et ils n’hésiteraient certainement pas à leur faire affronter des créatures bizarres, pour le plaisir de les voir se défendre. Bon, ils ne rencontreraient certainement pas de dragons, c’était certain. En tout cas, l’important n’était pas de savoir ce que lui croyait, mais ce que Jee Yie pensait. Car il préférait qu’elle ne pense qu’il n’y aurait que ces haies sombres et le froid à affronter, plutôt qu’elle s’attende à chaque détour à tomber sur une bestiole. A partir du moment où elle aurait peur, il y avait de grandes chances qu’elle la lui transmette. Et plus on panique, moins on réfléchit, n’est-ce pas ? Bon, ce n’était pas comme si Seung Lim réfléchissait souvent, mais tout de même… il valait mieux qu’ils aient l’esprit clair.

Ils continuèrent leur lente progression, le Yongwang calant son allure sur celle de sa compagne. Il songea un instant à lui prêter ses chaussures, mais grimaça intérieurement à l’idée de finir la soirée soit pieds nus, soit en talons. Ce serait ridicule, et ils avanceraient sûrement encore plus lentement. Il était désolé pour la jeune femme, mais il ne voyait pas de solution immédiate à ce problème. Lorsqu’ils arrivèrent au premier carrefour, ils n’avaient rencontré âme qui vive ; heureusement d’ailleurs. Ils s’arrêtèrent à la croisée des chemins, et le jeune homme regarda autour d’eux. Gauche, droite, devant : quelle direction prendre ? Il n’en avait aucune idée. La lumière projetée par sa baguette n’éclairait pas assez pour qu’ils puissent voir à quoi menaient les chemins ; à nouveau, le jeune homme lâcha la main de la jeune femme, et partit en éclaireur, faisant quelques pas sur chacune des trois allées, sa baguette tendue devant lui. Si, à gauche et devant eux, les sentiers semblaient s’enfoncer assez loin, à leur droite le chemin ressemblait plutôt à un cul de sac. Ils allaient donc devoir décider. Et il avait horreur de ça.
Revenant aux côtés de la jeune femme, il lui désigna les trois directions, et poussa un soupir.

« Bon, les deux à gauche ont l’air d’aller loin. A droite, par contre, il a pas l’air de s’enfoncer très loin. Ma chère Bonnie, nous sommes devant notre première décision importante de couple : quelle direction allons-nous prendre ? Comme je suis gaucher, j’aurais plutôt tendance à prendre celui de gauche. Mais je préfère me montrer galant, donc je te laisse le choix du chemin… »

Oui, en un sens, il se déchargeait de ses responsabilités. Prendre des décisions importantes n’était pas son fort, et il fuyait souvent devant ce genre de tâches. Pas par lâcheté, loin de là ; quoique… enfin non, c’était surtout qu’il ne se sentait pas l’âme d’un leader. Et s’il s’était promis de la protéger, il ne s’était pas promis qu’il allait les guider tous les deux. Surtout vu son sens de l’orientation.

Seung Lim était soulagé de voir que la jeune femme arrivait à prendre les choses en main. C’était un petit rigolo, pas un leader dans l’âme. Et la jeune femme tenait des discours intelligents ; lui n’aurait jamais eu ce genre de raisonnement, et aurait sûrement pris un chemin « au feeling », sans vraiment réfléchir. Il n’aimait pas réfléchir. Il détestait se prendre la tête pour prendre des décisions, émettre des avis, dire des choses censées. Ce n’était pas son genre, mais il admirait un peu ceux qui y arrivaient. Et Jee Yie faisait partie de ces personnes. Elle irradiait l’intelligence, et il ne l’aurait sûrement jamais abordée de lui-même, si Kessy n’était pas intervenu. Et bien qu’il rechignait à l’admettre, il était reconnaissant au rouge de lui avoir donné l’opportunité de passer un peu de temps seul avec elle. Certes, en un sens, ils n’avaient rien en commun ; et cela devait rendre l’atmosphère un peu étrange. Et pourtant, ça allait ; il se sentait à l’aise avec la jeune femme, même s’ils se connaissaient peu. Peut-être était-ce à cause de la douceur qui émanait d’elle ; il y avait quelque chose chez elle qui amenait les gens à se sentir en confiance, à avoir envie de gagner son affection.
Prendre à gauche, toujours à gauche : pourquoi pas ? En acceptant de prendre la direction qu’il avait choisi, elle lui montrait qu’elle lui faisait confiance ; bien sûr, cela flattait son ego. Quand il se trouvait avec son frère, ils n’avaient pas besoin de se concerter pour savoir ce qu’ils devaient faire : le plus souvent, ils savaient d’instinct ce que l’autre voulait, et ils s’accordaient parfaitement. Là, ils devaient partager la décision, et la Muneo avait trouvé le compromis parfait. Il ne put retenir un petit sifflement admiratif lorsqu’il vit les flammes bleues courir sur le sol, et les suivit du regard un instant ; avec cette technique, ils pourraient toujours retrouver leur chemin. Comment faisait-elle pour toujours penser à tout ? Il leva les yeux de la ligne enflammée pour les poser à nouveau sur la jeune femme. Alors comme ça, elle était à demi-vélane ? Maintenant qu’elle en parlait… vélane ou pas, elle avait une aura qui forçait immédiatement le respect. Peut-être était-ce dû à cela, il n’en savait rien ; en fait, il s’en moquait. Il avait envie de la protéger, de la prendre dans ses bras et de la rassurer. C’était tout. La séduire ? Peut-être un peu. Après tout, elle était si charmante…

« Oh si c’est toi qui me soigne, je veux bien prendre le risque… mais un Clyde avec un pied en moins ne doit pas être très utile dans ce genre d’aventures. Partons à gauche ma chère Bonnie, et sortons vite d’ici ! »

Elle lui tendit la main et il la prit, doucement. A présent qu’ils avaient décidé de la direction à prendre, il se sentait plus léger. Affronter une armée de nains l’horrifiait moins que le fait de devoir choisir par où ils devaient aller… et à présent qu’ils se dirigeaient vers le couloir feuillu de gauche, tous ses doutes sur la justesse de sa décision s’envolaient. Après tout, s’ils se plantaient en prenant ce chemin, ils n’auraient plus qu’à revenir sur leurs pas pour partir à droite, n’est-ce pas ? Pas de quoi s’inquiéter, donc. Il en oubliait presque à quel point leur directeur était tordu, et toutes ses questions sur ce qui se trouvait derrière le prochain tournant. Et oui, il était assez simpliste ; tout à son soulagement, il en oubliait le reste.
La question de Jee Yie le prit au dépourvu. Avec qui il aurait voulu y aller ? S’était-il seulement posé la question ? A vrai dire, pas vraiment. Quand il avait parlé à Kessy, il n’avait pas encore réfléchi à la personne avec qui il souhaitait y aller. Alors la décision lui avait paru évidente ; il n’avait pas pensé à autre chose. Mais maintenant qu’il devait y penser, il se rendait compte qu’il n’avait pas choisi du tout. Il était ravi d’être là avec Bonnie, c’était sûr. Et avec une autre ? Il se souvint soudain de l’époque où il sortait avec Pixie. Ils étaient allés à quelques bals ensemble, et finissaient en général les soirées soit défoncés, soit au lit, soit au lit et défoncés. Il avait toujours un pincement au cœur lorsqu’il se remémorait cette époque : il ne regrettait rien de ce qui s’était passé entre eux, si ce n’était le fait de ne pas avoir su l’arrêter. Si lui avait su se contrôler, il n’avait jamais réussi à la contrôler. S’il avait été plus fort, peut-être que ça se serait passé autrement ? A présent, quand il la voyait, il ne pouvait s’empêcher de s’énerver contre elle. Il ne supportait pas de la voir dans cet état, mais se sentait toujours impuissant face à elle. S’il l’avait quittée, c’était surtout par lâcheté ; il n’arrivait pas à l’arrêter, et ne se sentait pas le courage de la voir continuer à s’enfoncer. Il s’était dit que, s’il la quittait à cause de la drogue, elle arrêterait peut-être pour essayer de le récupérer. Mais il s’était trompé, et il s’était senti trahi. Sentiment stupide finalement, puisque c’était lui qui l’avait abandonnée. Et aujourd’hui encore, il se sentait coupable à cause de ça ; c’était pour cela qu’il s’énervait toujours contre elle. C’était peut-être aussi à cause de ça qu’il n’arrivait pas à avoir de relation sérieuse avec une autre fille : il n’arrivait pas à s’engager, et ne voulait même pas essayer.
Mais à présent, ce n’était pas avec Pixie qu’il voulait y aller. Et maintenant qu’il y pensait, il se rendait compte que la seule fille à laquelle il pensait l’aurait sûrement envoyé bouler. Avec qui y était-elle allée ? L’aimait-elle ? Il n’en savait rien, et ne voulait pas y penser. Il eut un petit rire en pensant à tout cela, et secoua légèrement la tête.

« Kessy n’a pas eu besoin de me persuader. C’était un honneur pour moi d’y aller avec une aussi charmante demoiselle. Et puis… aucune autre fille n’aurait été aussi jolie en Bonnie. » dit-il, en lui faisant un clin d’œil. Il s’interrompit un instant, réfléchissant à ce qu’il allait dire ensuite. Devait-il lui dire pour Tsuki ? Enfin, après tout, elle ne la connaissait pas… il reprit donc, hésitant :

« Mais… si j’avais dû inviter quelqu’un d’autre, je crois que cette personne m’aurait rejetée. Et oui, même un garçon génial comme moi peut se faire jeter. Un comble, tu ne crois pas ? »

Il regarda la jeune femme en souriant, une pointe de malice dans les yeux. Faisant un signe de tête vers le chemin éclairé par la lumière des flammes au sol, il commença à avancer dans la direction qu’ils avaient choisie. La longue traînée bleue au sol séparant le chemin en deux, il fit en sorte de se placer du côté des flammes, afin de se mettre entre elles et Jee. Il avait beau être plutôt insouciant, son sens de la galanterie le poussait à vouloir protéger la jeune femme, même de ses propres sorts. Et puis il fut pris, lui aussi, de curiosité. S’il ne lui avait pas proposé, avec qui y serait-elle allée ?

« Dis-moi… avec qui aurais-tu voulu y aller, toi ? Pourquoi avoir accepté mon invitation ? Après tout, on ne se connaît pas vraiment. »